Ô pleurs d’amour, fureur !
Marina Tsvetaeva – Tentatives de jalousie et autres poèmes – 15 mars / 11 mai 1939
D’eux-mêmes — jaillissant !
Ô la Bohême en pleurs !
En Espagne : le sang !
Noir, ô mont qui étend
Son ombre au monde entier !
Au Créateur : grand temps
De rendre mon billet.
Refus d’être. De suivre.
Asile des non-gens :
Je refuse d’y vivre
Avec les loups régents
Des rues — hurler : refuse.
Quant aux requins des plaines —
Non ! — Glisser : je refuse —
Le long des dos en chaîne.
Oreilles obstruées,
Et mes yeux voient confus.
À ton monde insensé
Je ne dis que : refus.
Il en tomba combien dans cet abîme
Marina Tsvetaeva – Tentatives de jalousie et autres poèmes – 8 décembre 1913
Béant dans le lointain !
Et je disparaîtrai un jour sans rimes
Du globe, c’est certain.
Se figera tout ce qui fut, – qui chante
et lutte et brille et veut :
Et le vert de mes yeux et ma voix tendre
Et l’or de mes cheveux.
Et la vie sera là, son pain, son sel
Et l’oubli des journées.
Et tout sera comme si sous le ciel
Je n’avais pas été !
Moi qui changeais, comme un enfant, sa mine
– Méchante qu’un moment, –Qui aimais l’heure où les bûches s’animent
Quand la cendre les prend,
Et le violoncelle et les cavalcades
Et le clocher sonnant…
– Moi, tellement vivante et véritable
Sur le sol caressant.
A tous – qu’importe. En rien je ne mesure,
Vous : miens et étrangers ?! –
Je vous demande une confiance sûre,
Je vous prie de m’aimer.
Et jour et nuit, voie orale ou écrite :
Pour mes « oui », « non » cinglants,
Du fait que si souvent – je suis trop triste,
Que je n’ai que vingt ans,
Du fait de mon pardon inévitable
Des offenses passées,
Pour toute ma tendresse incontenable
Et mon trop fier aspect,
Et la vitesse folle des temps forts,
Pour mon jeu, pour mon vrai…
– Écoutez-moi ! – Il faut m’aimer encore
Du fait que je mourrai.
in, Tentatives de jalousie et autres poèmes,
traduits du russe et présenté par Ève Malleret,
La Découverte, 1986, p. 79. MARS