« La lune est portée disparue Les larmes Les luttes sont reportées pour une date ultérieure et puis toutes les fleurs sont mortes Tous les poètes font leurs valises pour l’exil »
Ricardo Boucher, artiviste et poète (victime récente lui-même des brigands dans le bidonville), de nous faire parvenir ses mots S.O.S aujourd’hui.
Qui se suffisent.Et espèrent, du refuge cerné, de l’espoir de rêver flingué, éveiller ici quelques consciences. Si indifférentes au martyre du peuple haïtien.
« S.O.S
alerte
urgence
S.O.S
alerte
urgence
Seule la chair comme moi
connaît la douleur du canon
Seule la peau comme moi
connaît les vêtements tachés de sang frais
Seuls les cadavres comme moi
connaissent ces balles perdues dans une poitrine
Dans une tempe
Où la tempête de sang s’est mise à discourir
et demande audience au corps mangé de caoutchoucs brûlés
La lune est portée disparue
Les larmes
Les luttes sont reportées pour une date ultérieure
et puis toutes les fleurs sont mortes
Tous les poètes font leurs valises pour l’exil
Moi j’arrose cette plante à fleur rose rouge dès demain qui exigera
la restitution de la beauté
Son nom signifie
Chedlet Guilloux
Chedlet Guilloux qui a le mot justice peint sur son visage
Comme une pierre qui a perdu tout chemin
Me voici donc dans la vallée de la mort
Face aux fusils que le sang
et les larmes collent sous des mains assassines
Loin des murmures du vent dans la lueur des réverbères
Pour parler de douleurs
Chaque phrase dépeint quelque corps
Ce n’est pas un récit de soi
C’est un récit des autres qui découle d’un récit de soi
Je me suis étendu au cimetière à ciel ouvert comme un mort sans famille
La solitude m’a semblé plus vive que le sang
Je veux désunir les mille obstacles apportés à ma création singulière du poème
Je veux partager la haine
Rendre mon coeur au vide
Tout effacer
Qu’il n’y ait rien
Ni l’aube
Ni l’ombre
Rien que la vie qui s’annule
À distance de pains ou de cercueils
Tout ici prend ce sens abominable
Je pense à ma dernière phrase et mes derniers mots
Ces derniers mots qui comme un dialogue de miroirs abandonnés où certains noms sont chargés d’un sanglot à venir
Il me faudrait apporter de la lumière
mais du ciel béant ne sort aucun cri
L’automne a étendu sa blessure sur mon corps
Je cueille mes sombres fragments de biographie
Dans l’état d’urgence
où la vie courante se change en oiseaux papiers
Là où il y a une remontée jamais vue de chaos à tenter
contre la sortie de secours
Mon corps a l’odeur de Port-au-Prince
là où je suis maintenu en prison pour délit de rêve et d’espoir »