Depuis Gaza, les derniers mots du poète palestinien
Nour el-Din Haggag, 27 ans. Assassiné par l’armée israélienne
le 5 décembre.Bonsoir, le monde !
Hier soir, toutes les communications et internet ont été coupés. Ce que je pensais impossible a fini par se passer. Le facteur ne pourra pas venir au milieu de tous ces bombardements et destructions et ses journaux n’apporteront rien d’autre que les mêmes nouvelles chaque jour : que Gaza est en train d’être annihilée. Et peut-être la nouvelle de ma mort sera dans la prochaine édition. Les bombardements se font plus forts et nous nous accrochons à nos cœurs car ce que nous craignons se rapproche, nous allons mourir en silence et le monde ne saura rien de nous. Nous ne pourrons pas crier ni enregistrer nos derniers moments, nos dernières paroles.
Je vis dans un petit quartier, Shuja’iyya, dans la partie est de la ville de Gaza. Les explosions ne cessent pas, une nuit après l’autre. Elles sont diverses et viennent de toutes les directions. À chaque bruit énorme qui fait trembler nos maisons et nos cœurs, nous nous prenons dans les bras. Nous savons qu’une explosion viendra que nous n’entendrons pas parce que nous aurons explosé avec elle.
Et donc je vous écris maintenant. Peut-être sera-ce mon dernier message qui parcourra le monde libre et volera avec les colombes de la paix et dira au monde que nous aimons la vie si nous pouvons la vivre, mais qu’à Gaza toutes les voies sont fermées et que nous sommes juste à un post ou un tweet de la mort.
OK : Je suis Nour El-Din Adnan Haggag, un écrivain palestinien. J’ai vingt-sept ans et plein de rêves. Je ne suis pas un chiffre, et je refuse que la nouvelle de ma mort passe sans que vous disiez que j’aime la vie, le bonheur, la liberté, le rire des enfants, la mer, le café, écrire, Fairouz et tout ce qui apporte de la joie… avant que tout cela ne s’évanouisse en un bref instant.
Un de mes rêves est que mes livres voyagent dans le monde, que ma plume ait des ailes libres de tout passeport, sans tampons et de visas refusés. Un autre rêve : que je puisse avoir une petite famille, que je puisse serrer dans mes bras un fils — qui me ressemble — tandis que je lui raconte une histoire pour qu’il s’endorme. Et mon plus grand rêve reste que la paix puisse emplir mon pays, que le rire des enfants s’élève avant le soleil, que nous plantions une rose dans chaque trou de bombe et que nous peignions notre liberté sur chaque mur détruit, que la guerre nous laisse tranquilles ; que nous vivions notre vie, pour une fois.
Nour el-Din Haggag. Gaza, 28 novembre 2003
(traduit de l’arabe vers l’anglais par Ahdaf Soueif et de l’anglais vers le français par SF pour l’AURDIP)