Je suis un enfant de Gaza-Olivia Elias

Je suis un enfant de Gaza
poème d’Olivia Elias
Je suis un enfant de Gaza
Un enfant des tunnels
Pas un enfant de la lumière
J’ai du plomb durci dans les oreilles
Pas le droit d’avoir un cahier
Pas le droit d’avoir un crayon
Des fois je regarde la télé
Fêtes foraines chevaux de bois
Enfants glissant dans les toboggans
Moi je ne connais pas c’est pas grave à Gaza
La science-fiction c’est pas du cinéma
En mer les rodéos des navires de guerre
Equipages prêts à l’abordage
Les monstres d’acier chenilles géantes
Font auto-tamponneuse au milieu des vergers
Les tanks écrabouillent les maisons
Projettent en l’air divans et petits lits d’enfant
A l’affût de leurs proies les drones visent et piquent
Juchés dans leurs tourelles les chevaliers du nouvel âge
Mitraillent mitraillent tout sur leur passage
C’est la nuit en plein jour
Les explosions des feux d’artifice meurtriers
Tout au long de la nuit
Le vivant et le non vivant
Les hommes les plantes
Les bêtes les oiseaux et les cailloux
Rien ne bouge mille lieux à la ronde
Pluie de bombes, bombes au phosphore
Bombes à fragmentation
Cela a commencé le 27 décembre 2008
A onze heures trente du matin
Cela s’est terminé le 18 janvier 2009
A 19 heures trente du soir
Des vagues de 14 mètres l’une après l’autre
L’une après l’autre
Un tremblement de terre magnitude neuf
Nuit et jour par terre, mer et ciel
Par terre, mer et ciel
Nuit et jour nuit et jour
Les bombes déchirent le ciel
Déchirent les corps
Bombes à fragmentation qui explosent
En milliers de fragments de quelques millimètres
Bombes au phosphore qui brûlent
Comme une mèche de saindoux
La flamme fait Pischt et laisse des moignons
Des moignons jamais vus
Comme les chevaliers du nouvel âge
La vie de l’un d’entre eux dit-on
Vaut plus que la vie de cent enfants de Gaza
Cela a commencé le 27 décembre 2008
11 heures trente du matin
Cela s’est terminé le 18 janvier 2009
19 heures trente du soir
Fukushima à Gaza
L’enfer sur terre
Pas de secours pas de télé
Celui-là qui se pavane sur toutes les tribunes du monde
Est venu caché dans la tourelle
Il a tout vu et il a dit
Comme ils sont bons comme ils sont gentils
Les Martiens des temps nouveaux
Je suis un enfant de Gaza
Jadis terre de haute civilisation
Jadis avant que la beauté du monde
Ne meure à Gaza
Avant le temps des Martiens
Aujourd’hui une planète hors orbite
Une planète sans nom
Car l’enfer sur terre n’a pas de nom
Un million six cent mille
Hommes femmes et enfants
Pris au piège comme des rats
Obligés de passer par les tunnels
Pour accéder à la vie belle
La vie qui vaut la peine d’être vécue
La vie sans barbelés et navires de guerre
Sans drones et sans Martiens
Gaza une bande de sable brûlée par le soleil
Dix kilomètres sur quarante
Quelques centimètres au-dessus de la mer
Comme il faisait bon autrefois
Se baigner manger des pastèques et se promener
Avant de partir ils ont tout cassé
Les bêtes même ne peuvent plus boire l’eau des puits
Pas de cave pas de colline
Pas de pont d’aéroport
Juste des tunnels et le « Couloir de Philadelphie »
Quatorze kilomètres au sud de Gaza
Désolation extrême
Là-bas aux Etats-Unis dans les prisons
A très haute sécurité les condamnés à mort
Empruntent le couloir du même nom
Après avoir fumé leur dernière cigarette
Reçu la bénédiction du prêtre
Pour aller s’asseoir sur la chaise électrique
Et dire bye bye à cette terre
Je suis un enfant de Gaza
Pas un enfant de la lumière
Des fois je m’assieds au bord de lamer
Et je m’envole vers Fukushima
J’ai fait un dessin pour les enfants de Fukushima
Je leur dis vous n’êtes pas seuls
Je sais je sais tout
Je sais l’horreur le cataclysme
Les camps ensevelis sous les décombres
Le plomb durci dans les oreilles
Les cris les hurlements les bombes les sirènes
La dévastation la terre polluée l’eau contaminée
Pour des milliards d’années
Je sais tout j’ai tout vu
Je vous embrasse
Moi enfant de Gaza
Dédié aux enfants de Gaza et de Fukushima
Olivia Elias, 26 février 2013.

Poème tiré de Je suis de cette bande de sable, Olivia Elias, recueil de poèmes, Paris 2013, 40 p.
(épuisé).
« Je suis née en ce temps éruptif où mon pays changeait de nom
Je suis née en ce temps sismique qui engloutissait jusqu’au nom de mon père et du père de son
père » (Extrait de Feu de la brûlure).
Olivia Elias est une des poètes de la diaspora palestinienne. Née à Haïfa-Palestine, réfugiée avec sa
famille au Liban, elle a effectué ses études universitaires au Canada et enseigné les sciences
économiques jusqu’au début des années 1980. Depuis, elle réside en France, mis à part la période
2005-2009 durant laquelle elle a vécu et travaillé en Syrie et en Egypte.