Les mots d’Abdellathif Laabi
Ces extraits d’un poème que j’ai écrit il y a plus de vingt ans démontrent à mon avis que, de l’histoire dite humaine, c’est la barbarie qui se répète le plus. Ceux qui dissèquent le phénomène gardent les yeux secs. Moi, je ne le peux pas. Je dis plutôt ce qui me brise le cœur.
Gaza-Palestine
Nous n’avons pas trahi nos poèmes
(version arabe à la suite)
Le tunnel, le revoici
long, long
sur une autre terre
où l’on ne peut même pas enterrer ses morts
Je t’ai nommée : Palestine !
Je pense à vous
mes amis de là-bas
dont j’ai traduit les poèmes
« Je vous appelle
et serre vos mains* »
puis je me sens tout bête
Qu’ai-je à dire que vous ne diriez
non pas mieux, mais avec une autre matière des mots :
le blanc insondable de la terreur
le noir indélébile du sang
le pourpre du rêve violé
le gris vénéneux des décombres
le jaune dément de la chair brûlée
le vert du torrent injuste des larmes
le bleu ivre des malédictions ?
Le tunnel, que voici
long, long !
Quelle est cette époque
qui nous broie dans son camion à ordures
Quelle est cette planète
qui nous ferme au nez toutes ses portes
et ne nous laisse comme voie de sortie
que celle où il faut apporter la preuve
du désespoir absolu ?
Ô nuit !
toi de nouveau
rare refuge pour les désemparés
Et pour l’œil
pâturage unique
Peut-être y a-t-il sur une de tes étoiles
un esprit pur, un témoin juste
qui nous regarde et souffre de ne pas pouvoir
lever son petit doigt
Peut-être n’y a-t-il rien
et que ce silence sidéral obéit lui aussi
à l’abjecte loi de l’indifférence
Comment en être sûr ?
Ô nuit !
donne quelque chose
ne serait-ce qu’un brin d’illusion
ce succédané de l’espoir
ne serait-ce qu’un rai
identifiable à une promesse
même la plus vague
ne serait-ce qu’un souffle
même le plus ténu
qui ranime un peu les cendres de l’âme
Mais de grâce, épargne-nous la pitié
Tout, sauf cela !
Je pense à vous
mes amis de là-bas
et brusquement, je ne sais plus ce que penser veut dire
ce qu’écrire veut dire
La douleur a pris les rênes et fouette à mort
la monture du corps
Les parois du tunnel se rapprochent
J’étouffe de votre étouffement
Je me protège la tête comme j’ai vu tant de fois
le faire vos enfants
Je crie pour ne pas nous voir enterrés vivants
Je tremble comme tout être intègre
au moment de la vérité
Je crois un instant et apostasie au suivant
Je crache sur la table des Lois
et appelle à mon secours
l’apocalypse
Je rampe à l’aveuglette sous les décombres
de la défunte humanité
et parfois, ô délice
je doute ferme de mon existence
D’un battement de paupières
j’annule tout
D’abord ma condition de ver de terre
ensuite la Genèse, le jour des Comptes
en passant par le purgatoire
Sans état d’âme, j’efface cette caricature
et sur le métier remets l’ouvrage
Je sens monter en moi la parole sans égale
et je ne suis l’émissaire de personne
Je ne dis pas à la lumière : soit !
mais s’il te plaît
Je ne dis pas à la justice : frappe !
mais sois juste
Je ne dis pas à la beauté: couche-toi !
mais rayonne tel un soleil libre
de toute obligation
Je ne m’adresse pas à des tribus ou à des peuples
mais à ceux-là seuls
qui souffrent de la souffrance des autres
et ne s’en vantent pas
Je délire de votre délire
ô mes amis
pardonnez-moi
Le tunnel est encore là
long, long !
J’y suis tant que vous y serez
car moi non plus
je n’ai pas « trahi mes poèmes »
« Je vous appelle
et serre vos mains »
VERSION ARABE
غزّة-فلسطين
لا، لم نَخُنْ أشْعارَنا
النفَق
ها هوذا من جديد
طويلٌ، طويل
في أرض أخرى
لا يستطيع فيها الناسُ
حتى أن يدفنوا موْتاهم
أسْميْتُكِ يا فلسطين!
أفكر بكم
يا أصدقائي هناك
الذين تَرجمْتُ قصائدَهم
“أناديكم
أشدُّ على أياديكم”
ثم أشعر بالغباء
ماذا لديّ لأقوله
ممّا قد تقولونه أنتم
ليس بطريقة أفضل
بل بمادَّةٍ مختلفة من الكلمات:
بياضُ الرّعْب، الذي يتعذَّر سَبُره
سوادُ الدم، الذي يتعذّر مَحْوُه
أرجوانيُّ الحلم المغتَصَب
رماديُّ الأنقاض المسمومُ
الأصفرُ المعتوهُ للَّحمِ المحروقِ
أخضرُ السيْلِ الظالمِ للدموع
أزرقُ اللعَنات الثمِلُ؟
هذا النفق
طويلٌ… طويلٌ
ما هذا العصر
الذي يطْحنُنا في شاحنةِ قمامته
ما هذا الكوكب
الذي يغلق في وجوهنا كلَّ أبوابه
ولا يترك لنا من مَخرجٍ
سوى المسلَك الذي يجب فيه تقديمُ الدليل
على اليأس المطلق؟
يا ليلُ
أنتَ من جديد
أيّها الملاذُ النادر للْحَيارى
والمَرْعى الوحيد
للعَين
ربما توجدُ فوق إحدى نجماتكَ
روحٌ نقيّةٌ، شاهِدٌ منصِفٌ
ينظر إلينا ويتألم من عجزه
على رفْعِ إصبعه الصغير
ربما لا يوجد شيء
وهذا الصمت النجْميّ يمتثل هو أيضا
لقانون اللّامبالاة الوَضيع
كيف لنا أن نعرف؟
يا ليلُ
اِعطِ شيئاً ما
ولو ذرة وهْمٍ
هذا البديلُ البخْس للأمل
ولو شُعاعا يمكن تمييزه من وعدٍ
وإن كان أشدّ الوعود ضبابيةً
ولو نفْحةً وإن كانت في غاية الخفّة
تُحْيي رَمادَ الروح قليلاً
ولكن رجاءً، جنِّبْنا الشفقة
كلُّه، إلاّ هذا!
أفكّر بكم
يا أصدقائي هناك
وفجأةً لا أعودُ أعرف ما معنى تفكير
ما معنى كِتابَة
لقد أمسكَ الألمُ بالزمام
وراح يسوطُ حتى الموت مطيَّةَ الجسد
تتقاربُ جدران النفق الداخلية
أختنقُ من اختناقكم
أحْمي رأسي
مثلما رأيتُ أولادكم مرّات كثيرة
يفعلون
أصرخُ كي لا أرانا نُدفَنُ أحياء
أرتجف مثل أيِّ كائنٍ
ساعةَ الحقيقة
أؤمن في لحظة وأكفُر في التالية
أبصق على لوح الوصايا
وأستنجدُ بالفَناء
أزْحفُ على غير هدىً تحت أنقاضِ
البشريةِ المُتوفّاة
وأحياناً، يا للنعيم!
أشكُّ بشدةٍ بوجودي
بِرَفَّةِ جفنٍ
أُلغي كلَّ شيء
أولاً ظَرفي كدُودةِ أرض
وبَعدَهُ سِفر التكوين
يوم الحساب
مروراً بالمَطهر
بدون تردّد
أمحو هذا الكاريكاتير
وفوق النَّوْلِ أضع من جديدٍ عملي
أشعر بالكلام الفريد من نوعه يصعد بداخلي
ولستُ رسولَ أحد
لا أقول للضّوءِ
كُنْ!
بل من فضلك
لا أقول للعدالةِ
اضرِبي!
بل كوني عادلةً
لا أقول للجمال
استلْقِ!
بل اِسْطَعْ
مثل شمسٍ حُرّةٍ من كل إكراه
لا أتوجَّهُ إلى قبائل أو شعوب
وإنما فقط إلى أولئك
الذين يتألّمون لألم الآخرين
ولا يتباهون بذلك
أهذي لهذيانكم
يا أصدقائي
سامحوني
النفق ما يزال هنا
طويل، طويل
سأبقى فيه طالما بَقيتُمْ
لأنني أنا أيضاً
لم “أخُنْ أشْعاري”
“أناديكم
أشدُّ على أياديكم”
عبد اللطيف اللعبي
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