Je vis un temps de guerre. Je vis un temps sans soleil. Seul celui qui ne sait pas est un homme capable de rire. Ah ! triste temps présent où parler d’amour et de fleurs c’est oublier tant de gens qui souffrent tant de douleurs. Tout le monde dit que je dois manger et boire mais comment vais-je boire si je sais que ce que je mange et ce que je bois je le prends à un frère qui a faim, à un frère qui a soif, à un frère. Mais même ainsi, je mange et je bois, même ainsi, c’est la vérité. De vieilles croyances disent que vivre ce n’est pas lutter, que le sage est celui qui arrive à répondre au mal par le bien. Celui qui oublie la volonté propre, celui qui accepte de ne pas réaliser ses désirs, celui-là est considéré par tous comme un sage. C’est ce que je vois toujours et à cela moi je dis non ! Je sais qu’il faut vaincre, je sais qu’il faut lutter, je sais qu’il faut mourir, je sais qu’il faut tuer. C’est un temps de guerre. C’est un temps sans soleil. J’ai vécu à la ville aux temps du désordre, j’ai vécu au milieu des miens aux temps des rébellions. C’est ainsi que j’ai passé les années qui m’ont été données. Que ceux qui suivent mon chemin et qui verront la terre heureuse n’oublient pas ce temps notre temps de guerre. Pendant que nous préparons le chemin de l’amitié, nous ne pouvons être amis du mal, au mal il faut faire du mal. Si tu arrives à vivre ce temps d’égalité où l’homme aidera l’homme tu connaîtras la liberté. C’est un temps de guerre. C’est un temps sans soleil.
Un temps de guerre : Bertolt Brecht